L’EXPROPRIATION POUR CAUSE D’UTILITE PUBLIQUE AU CAMEROUN
L’Etat est le gardien de toutes les terres ; à ce titre, il les administre « en vue d’en assurer une utilisation et une mise en valeur rationnelle » à en croire l’article 16 de l’ordonnance de 74/1 fixant le régime foncier. Ainsi et afin de réaliser des projets d’intérêt général, les dépendances du domaine national, peuvent être incorporées au domaine privé de l’Etat ou à celui des personnes morales publiques par la procédure d’incorporation, que nous n’aborderons pas dans le cadre de ces développements. Il en est autrement de celles ayant fait l’objet d’appropriation privée à la suite d’une immatriculation (lire l’article sur l’immatriculation des terrains du domaine national). La procédure dans ce dernier cas de figure sera donc celle de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Cette dernière est définie comme un mode de cession forcée unilatérale de la propriété immobilière bâtie ou non, appartenant à des particuliers ou à des personnes morales, contre une indemnité. Il s’agira donc dans le cadre de cette étude de décrire la procédure d’expropriation, avant d’analyser la procédure d’indemnisation des victimes.
- I. LA PROCEDURE D’EXPROPRIATION
Le fondement juridique d’une telle expropriation, est la loi n° 85/09 du 04 juillet 1985 régissant l’expropriation pour cause d’utilité publique et son décret d’application n° 87/1872 du 16 décembre 1987. La procédure d’expropriation peut en effet, être engagée soit directement par l’Etat, soit indirectement à la demande des collectivités locales, des établissements publics, des concessionnaires du service public ou des sociétés d’Etat.
La demande du requérant doit donc être adressée au ministre en charge des domaines et des affaires foncières. Elle comprend : une note explicative du projet à réaliser, la localisation du projet, la superficie demandée, la date approximative de démarrage des travaux et la disponibilité des crédits d’indemnisation avec indication des moyens d’indemnisation.
Dans tous les cas de figure, le projet doit revêtir un caractère d’utilité publique ou d’intérêt général dans les domaines variés comme le sport, l’éducation, la santé, l’emploi, l’économie, l’aménagement du territoire et l’urbanisme. Un investissement visant donc un intérêt privé ne peut donc pas bénéficier de cette procédure ; c’est le cas par exemple de la construction d’une villa ou d’un hôtel.
L’objectif à terme de l’expropriation, étant la prise par le MINDCAF, d’un arrêté déclarant l’utilité publique des travaux projetés. Ledit arrêté a d’ailleurs une prescription de 02 ans avec possibilité de 01 an de prorogation, pour procéder à l’expropriation ; au cas contraire, il sera caduc.
Pendant ce délai limité, et suivant cet arrêté, une commission de constat et d’évaluation (voire l’article 5 du décret pour sa composition) est mise sur pied pour mener une enquête visant à constater les droits, faire borner les terrains concernés et ceci aux frais du bénéficiaire, évaluer les biens mis en cause et identifier leurs titulaires et propriétaires. Cette phase est sanctionnée par la rédaction des procès-verbaux de constat et d’évaluation.
Au terme de cette procédure, un décret d’expropriation entrainant le transfert de propriété par mutation des titres fonciers, la suspension de toute transaction et mise en valeur sur les terrains concernés, la purge des droits réels inscrits avant la signature du décret (transformation en créance d’indemnité) ainsi que le déguerpissement, fixe l’indemnité due aux personnes évincées.
- II. L’INDEMNISATION DES VICTIMES
L’expropriation ouvre droit à l’indemnisation en argent ou en nature des victimes. Ces dernières sont en principe des propriétaires privés au sens des lois et des règlements c’est-à-dire des personnes possédant sur leurs parcelles, des titres fonciers. Toutefois, les occupants sans titre ont également des droits qui leur sont reconnus par l’ordonnance de 74 qui les protège d’ailleurs contre toute tentative d’éviction, même s’ils sont interdits de vendre ces parcelles (voire la récente note du MINDCAF). Vu ainsi, ils peuvent également prétendre à une indemnisation, à condition de prouver leur qualité d’« occupant de bonne foi » ; tout compte fait, ils doivent se plier lorsque l’Etat sollicite ces parcelles.
Il est important de savoir qu’avant le recours à l’expropriation, les requérants doivent procéder aux négociations préalables avec les propriétaires ou ayants droits concernés en vue d’un accord. En cas de mésentente, le MINDCAF joue le rôle d’arbitre.
Par ailleurs, l’indemnité est en principe pécuniaire mais il peut y avoir compensation en nature d’égale valeur. S’il s’agit d’un terrain, la compensation doit se faire autant que possible dans la commune du terrain frappé par l’expropriation. Si la valeur du terrain offert en compensation est supérieure à celle du terrain ayant subi l’expropriation, la soulte est payée par le bénéficiaire de l’indemnité ; dans le cas inverse, la soulte est payée par le bénéficiaire de l’expropriation.
Notons également que l’indemnisation se fait en principe, avant l’expropriation mais dans la pratique, on observe davantage l’occupation des lieux par le bénéficiaire de l’expropriation avant paiement, sous le fondement de cette possibilité autorisée par la loi « dans certains cas ». A titre d’exemple au Cameroun, nous avons encore en mémoire l’expropriation pour cause d’utilité publique à Douala dans le quartier DIKOLO, dans le département du Wouri, qui a défrayé la chronique pendant un bon moment.
Ce qu’il faut retenir cependant, c’est que, l’indemnité est supportée par la personne morale ayant sollicité l’expropriation, ou lorsqu’il s’agit spécifiquement de l’Etat, par le budget du département ministériel l’ayant sollicité. Elle porte sur le dommage matériel direct, immédiat et certain causé par l’éviction. Elle couvre les terrains nus, les cultures, les constructions et toute autre mise en valeur. Toutefois, il n’est dû aucune indemnité pour destruction des constructions vétustes ou menaçant ruines ; il en est de même des constructions réalisées en marge des règles d’urbanisme ou en infraction aux dispositions législatives ou règlementaires fixant le régime foncier.
Nous ne saurions conclure sans souligner que la victime a le droit de refuser les montants de l’indemnité proposée ; à ce titre, après une réclamation préalable restée sans effet concluant, elle peut saisir le juge administratif compétent du lieu de situation de l’immeuble, dans un délai de 01 mois suivant la date de notification de la décision contestée. Mais une telle action en justice n’arrête pas l’expropriation, encore moins ses effets.
La victime peut aussi, lorsqu’elle juge que l’expropriation est abusive, aller jusqu’à contester le caractère d’utilité publique de l’expropriation ; dans ce cas de figure, il est conseillé d’exercer une action collective avec le voisinage pour plus d’efficacité.
Mots clés
Procédure d’expropriation
Utilité publique
Indemnisation
Victimes
Propriétaires
Occupants sans titre
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